jeudi 1 mai 2008

Schéma Corporel.

Histoire et évolution du concept de schéma corporel.
En croisant les résultats de recherche de Schilder.P (L’image du corps), Gantheret.F (Thèse sur le schéma corporel et l’image du corps) et les travaux de Bernard.M (Le corps) on peut retracer, comme suit, l’histoire et la genèse du concept de schéma corporel.
C’est au début du 19ème siècle que le physiologiste Reil élabore un concept flou: la coenesthésie( du grec koïne = commun et aisthésis = sensation). Les potentialités de ce concept lui assureront le succès puisqu’il reste encore utilisé de nos jours. Ce terme désigne : “ le chaos non débrouillé des sensations qui, de tous les points du corps sont sans cesse transmises au “sensorium”, c’est dire au centre nerveux des afférences sensorielles [1]. De là un premier pas était franchi vers la compréhension d’une structure permettant d’intégrer la coenesthésie (ensemble des informations intéroceptives et proprioceptives) en une connaissance subjective de l’organisme.
Apparaît alors, avec Bonnier.P, la notion de “schéma”. Ce médecin français, étudiant les causes du vertige a été conduit à chercher le fondement de l’état de non vertige. C’est à dire le dispositif qui garanti l’ancrage des postures d’un sujet normal dans un cadre spatio-temporel. Il met alors en évidence une sorte de figuration topographique du corps que chacun posséderait en soi. Ce schéma lierait entre eux, dans une recomposition 3D, l’ensemble des membres, organes et leviers osseux, permettant leur localisation et coordination. Il y a donc ici intégration de la coenesthésie en un modèle perceptif spatial du corps.
C’est en 1908 qu'un neurologiste allemand Pick.A retrouve, au cours d’une étude d’un cas d’autotopoagnosie, cette idée d’une “image spatiale du corps“. L’autotopoagnosie consiste en une incapacité à localiser sur commande une partie du corps, sur soi-même, sur autrui ou sur un dessin. Pour Pick, la localisation des organes et l’orientation spatiale du corps découlent d’une cartographie interne du corps où s’enchevêtrent les sensations visuelles et cutanées. L’autotopoagnosique ne réussissait donc plus à faire coïncider ces deux ensembles d’informations formant désormais des représentations distinctes non intégrées en une seule et même cartographie.
Complétant cette théorie le neurophysiologiste Head.H rajoute une dimension posturale à cette notion de schéma. Il avait noté que la capacité à se mouvoir correctement, et d’ajuster la position corporelle, nécessitait une intégration des perceptions du poids, de la taille et de la forme générale du corps. Il concevait cela comme un ensemble d’empreintes corporelles pouvant subir des modifications avec l’apprentissage. Il écrit, L’image, qu’elle soit visuelle ou motrice, n’est pas l’étalon fondamental auquel il faut mesurer tous les changements posturaux. Chaque changement reconnaissable entre dans la conscience déjà chargée de sa relation à quelque chose qui s’est passé avant, exactement comme, sur le compteur d’un taxi, la distance nous est représentée déjà transformée en francs et en centimes. De sorte que le produit final de tous les essais qui visent à apprécier la posture et le mouvement passif, parvient à la conscience comme un changement postural déjà étalonné. Pour désigner ce standard auquel sont mesurés, avant d’entrer dans la conscience, tous les changements de posture, nous proposons le mot : ”schéma”. Comme nous changeons perpétuellement de position, nous sommes toujours en train de construire un modèle postural de nous même en constante transformation. Chaque nouvelle posture ou mouvement vient s’enregistrer sur ce schéma plastique, et l’activité corticale met en relation avec lui chaque nouveau groupe de sensations évoquées par la posture nouvelle. Il s’ensuit une connaissance immédiate de la posture, dès que cette relation est établie [2].
Ainsi pour Head, il existe un modèle postural du corps. Ce modèle peut se modifier au gré des changements de posture afin d’atteindre un nouvel état de synthèse des données sensorielles ; état à partir duquel pourra se définir un autre mouvement. Ce schéma se déforme, mais reste toujours présent. Il est toujours en redéfinition par rapport à lui-même dans une nécessité permanente d’intégration des nouvelles informations sensorielles générées par les changements de postures de chaque instant. Ce schéma aux propriétés dynamiques est donc aussi un standard par rapport auquel s’évalue, à tout moment, notre perception du corps. Head donne alors cette définition du schéma corporel : « Il réalise dans une construction active constamment remaniée des données actuelles et du passé la synthèse dynamique qui fournit à nos actes comme à nos perceptions le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification. L’image du moi, présente à l’arrière plan de toute activité psychique, se construit indiscutablement à partir de nos attitudes et de nos mouvements» [3].
Paul Shilder (neurophysiologiste et psychanalyste autrichien ) cultivera encore plus loin la théorie de Head, grâce à ses travaux portant sur l’observation de nombreuses neuropathologies. Confirmant l’idée d’une intégration de l’ensemble des sens dans la formation du schéma corporel, il écrit : La modification de l’impression tactile amène un changement concomitant dans la sphère optique. Ce n’est pas que le schéma corporel ait deux parties distinctes, l’une optique et l’autre tactile ; il est, par essence, une synesthésie. Mais nous ne devons pas oublier que toute sensation est généralement synesthésique. Ce qui signifie qu’il n’existe pas d’isolation primaire entre les différentes sensations. S’il y a isolation, elle est secondaire. Ce n’est qu’avec quelque difficulté que nous parvenons à distinguer qu’une partie de ce que nous percevons est fait d’impressions optiques. La synesthésie, par conséquent, est la situation normale ; toute sensation isolée est le produit d’une analyse » [4]. Mais il va encore plus loin puisque pour lui la perception n’existe pas sans l’action : « Tout le sens de notre exposé, tend à montrer que la connaissance et la perception ne sont pas le produit d’une attitude passive, mais qu’elles sont acquises par un processus très actif, dans lequel la motilité joue son rôle » [5]. Ainsi, d’un lien à l’autre c’est l’ensemble du complexe perceptivo-moteur qui trouve son intégration et son fonctionnement au travers du schéma corporel. Il y a, à tout moment une inter relation entre le mouvement du corps et la perception de ce mouvement, et ceci dans une auto construction réciproque permanente. « Le modèle postural du corps... est en perpétuel auto construction et auto destruction interne. Il est vivant dans ce processus continuel de différentiation et d’intégration » [6].
Partant de ce point de vue Schilder va tenter d’aborder le problème du rapport de l’homme à son propre corps dans ces différents aspects incluant les souvenirs, les représentations et les perceptions dans leurs dimensions temporelle et spatiale. En effet le schéma corporel ne se résume plus à une synthèse des informations sensorielles, il n’est plus conçu dans une relation unilatérale de dépendance aux sens, il est aussi la condition de cette expérience sensorielle. Il ne s’agit donc plus d’une intégration passive des données proprioceptives, tactiles, auditives et visuelles, mais bel et bien d’un processus actif qui met en jeu les besoins émotionnels et physiologiques du sujet ainsi que l’expérience subjective qui leur sont liées. Entre alors, dans une définition jusque là enracinée dans une causalité biologique, une dimension supplémentaire du schéma corporel, celle de l’expérience vécue subjective. C’est alors que le concept de schéma corporel se détache d’une conception purement biologique du corps.





[1] Reil cité par Bernard M _ Le corps. Edition du Seuil, (1995), p18.
[2] Head H cité par Bernard M _ Op.Cit, p 25.
[3] Head H cité par Gantheret F _ Le schéma corporel et l’image du corps. Thèse, (1962),p 12.
[4] Schilder P _ L’image du corps. Gallimard, trad. Gantheret et Truffert, (1968), p 61.
[5] Schilder P _ Idem, p 80.
[6] Schider P _ Op.Cit, p 40.