vendredi 9 mai 2008

Métaphore et Temporalité


La sorcière amoureuse (bis)
Transfert/contre transfert, une dynamique indispensable aux remaniement temporels. - La métaphore, comme lieu de rencontre et lieu de ce remaniement temporel. Recit, histoire, identité, interprétation, perlaboration, abréaction… reconstruction. (S. Le poulichet).
Temps représentation et langage.

L’activité de représentation la plus élaborée correspond à cette instance que l’on appelle le « Je », instance marquée par l’avènement d’une représentation idéique liée à un énoncé. En fait, cette activité idéique prend pieds sur le Je qu’elle définit en retour. Ce qui fait dire à P.Aulagnier que « le Je n’est rien d’autre que le savoir du Je sur le Je »(La violence de l’interprétation p 28). Mais l’apport original de P.Aulagnier est aussi de ne pas résumer le Je à sa construction dans le discours. Le Je est à inclure dans une temporalité c’est à dire dans un double rapport aux notions d’auto historisation et de projet identificatoire. Le Je fait un travail d’auto historisation, processus identificatoire tel qu’il est tourné vers le passé, en même temps qu’il se relie au futur par un projet identificatoire. Autant chez Freud que chez Aulagnier le temps est donc présent dans une réflexion à la fois implicite et explicite. Selon la thèse de S. de Mijolla, c’est l’introduction de la dimension du futur, négligé par Freud, qui constitue l’originalité de l’apport d’Aulagnier. Il est néanmoins facile d’articuler les deux approches dans une complémentarité qui en souligne l’intérêt. Entre déterminisme et herméneutique on a vu que la position freudienne sur le temps ne pouvait se résumer a une simple archéologie du passé. L’apposition des apports de Piera Aulagnier ne vient que compléter une complexité ou chaque instant présent est à la fois tourné vers le présent et le futur et tient en sa seul présence dans l’espace de chaque instant la possibilité multiple d’une histoire dont passé et avenir sont en interaction constante. « Temps mêlé » ou « passé, présent et avenir sont comme enfilé sur le cordeau du désir qui les traverse » (Freud, 1908a, cité par De Mijolla in Le temps zigzague et ce chevauche). Si le développement de la notion du temps chez Freud tient en premier lieu à l’idée d’une constante émergence du passé dans le présent, Piéra Aulagnier en développe la contre partie liée au futur et à la manière dont il s’enracine dans ce même présent. Point commun et terrain de croisement des deux théories, le présent devient carrefour d’une temporalité individuelle où passé et futur se rencontre et se définissent ou redéfinisse l’un et l’autre à l’aune du présent. Freud souligne la notion d’après coup qui réactualise la signification du passé voir fait naître cette signification à l’aune de l’événement présent alors que Piéra Aulagnier décrit que l’anticipation maternelle oriente le destin de l’enfant, c’est alors le futur de l’enfant qui se joue au présent dans son articulation au passé de la mère. Si on mêlé les deux point de vue c’est toute la lignée temporelle passé/présent/futur qui se trouve ainsi entremêlés, conjuguée dans un destin historique toujours en cours possible de construction ou reconstruction :« Ce que la psychanalyse nous apprend, c’est que le temps zigzague et se chevauche lui-même »[1]. Pris dans une temporalité où passé présent et futur se questionnent les uns les autres sans qu’aucune des parties ne puisse jamais être le seul responsable d’une réponse, Le Je est pris dans le jeu interactif d’une constitution à double sens entre auto-historisation et projet identificatoire. Le Je doit alors pour Piera Aulagnier «transformer l’insaisissable du temps physique en un temps humain qui substitue à un temps définitivement perdu, un temps qui le parle »[2].
Ce temps mis en paroles est celui qui, pris dans le récit que le Je tient sur lui-même, vient se donner à l’écoute et à la rencontre des potentialités transformantes de l’interprétation de l’analyste. C’est dans ce que cette rencontre vient remettre en jeu de la dynamique temporelle qui le parle, que le Je trouve le pouvoir de transformer le récit qu’il ce donne de lui-même. Le transfert est alors «le lieu d’une recomposition actuelle »[3] qui en donnant au sujet la possibilité de penser une représentation et un affect refoulé, va rendre pensable « aujourd’hui », sous le jour d’un sens nouveau, l’histoire jusque là acceptée sans critique des expériences de plaisirs ou déplaisirs conséquences d’un nœud passé du désir. Aulagnier écrit : « Mettre en paroles le phantasme, le définir comme phantasme implique un changement dans la relation qui lie le Je à cette production psychique qui pourtant ne sera jamais soumise à sa juridiction. Transformer cette relation c’est aussi transformer la relation présente entre le Je et les pensée, le Je et le hors Je et enfin modifier le Je lui-même »[4]. Ainsi, rendre pensable l’impensable est l’objet même de l’interprétation de l’analyste. La ré appropriation par le Je, du plaisir de penser notamment autour de représentations exclues par le refoulement ouvre la porte à une liberté plus grande de la pensée du Je sur lui-même. Passant outre l’inhibition symptomatique de la faculté de penser le sujet enteprend, sous la bannière du plaisir, le difficile chemin «de l’association libre à la pensée libre »[5]. Les conséquences d’une telle libération sont profondes et expliquent les résistances qu’elle doit surmonter pour qu’une interprétation soit « efficace ». Par cette imbrication puissante du discours, du Je et de la temporalité subjective, il est du pouvoir de l’interprétation (dont l’efficacité est paradigmatique de l’acte thérapeutique psychanalytique), de changer le rapport du sujet avec le monde. Car comme le précise Piera Aulagnier : « Vouloir changer sa relation à son monde (extérieur ou intérieur) c’est devoir s’astreindre à repenser, à ré-organiser, en un mot à transformer son être et ses avoirs, son espace et son temps, l’histoire de son passé et les rêve sur son futur ».[6]
Il nous semble même que l’investissement de cette perspective par le travail psychique du Je est une condition nécessaire à toute évolution positive de la cure.
Et il en va de même de l’analysé comme de l’analysant car, qu’il soit patient ou thérapeute la rencontre thérapeutique est aussi celle d’un désir commun du changement et donc aussi, d’une capacité réciproque à en accepter les conséquences pour l’un et pour l’autre. C’est à ce prix qu’il peut donc y avoir dans l’espace dynamique de la cure, celui des échanges entre associations libres et interprétations, un remaniement du lien subjectif au passé au présent et au futur. S’il sont partenaires, il ne nous semble pas pensable en effet que des modifications aussi profondes puissent même avoir lieu sans que le thérapeute en soit lui-même le jeu. Il nous paraît ici complémentaire de citer Massud Kahn : « Il faut, par contre, que les analystes comprennent que le bon fonctionnement du « triangle thérapeutique » relève du talent et/ou de la capacité du patient à métaphoriser sa maladie, dans une certaine mesure, dans les termes de notre logique symbolique et de notre répertoire de conduite et de pensée. C’est ce qui explique que, dans le cadre thérapeutique de Freud, la découverte que font en commun l'analyste et le patient d’un langage symbolique plus étendu et plus riche que l’effort et la tradition de chacun d’eux, pris à part, importe plus encore que la compréhension du sens et la résolution de la maladie. »[7] Oubliant les différences de positions entre thérapeute et patient nous voulons alors continuer à explorer cette part commune de la rencontre qui nous semble pouvoir porter en elle une part explicative de l’efficacité thérapeutique tel qu’en subsume, nous le pensons, la question de l’interprétation. Car cette « efficacité » du jeu des mots dans la cure vient aussi de ce qu’il vient mettre en scène cet espace commun aux deux Je en présence, celui de l’origine même de la pensée et de sa mise en travail. Autre regard, peut être, sur le concept de contre transfert qui viendrait souligner alors ce terrain commun de la relation du Je à sa propre pensée, le plaisir qu’il peut prendre ou pas à l’évolution de ce rapport, et ce qu’il vient jouer d’un originaire commun aux deux humains en présence. « Cette nouvelle relation qui se met en place entre le Je et ses pensées jouera un rôle essentiel dans l’économie psychique en induisant une autre mise en forme de la représentation que le processus originaire et le processus primaire se forgent de la relation du Je à cet autre face de lui-même que sont ses propres pensées (et avant tout les pensées par lesquelles le Je peut se penser). Représentations dont l’effet de feed-back se manifestera dans l’espace du Je par un sentiment de déplaisir chaque fois que la relation entre les deux entités qui le composent (l’instance pensante et le pensé) est mise en scène par le primaire et l’originaire comme relation de conflit, de rejet, de haine ».[8]
Jeux de mot, jeux de la pensée et origine même, dans l’expérience de plaisir/déplaisir, de la formations des représentations, nous voilà avançant toujours plus loin dans les processus de formation du langage qui peut nous ouvrir un peu plus la porte d’une prise de conscience d’un principe commun à l’élaboration de tout discours. Le récit que le Je porte sur lui-même, contient aussi, en même temps qu’un temporalité qui le parle, en même temps que le rapport à ce qu’il croit être, ce qu’il dévient, ce qu’il pourrait devenir et ce qu’il fût ou croit qu’il fût, toute la potentialité de son écriture identificatoire. Dans les fils de cette « histoire » s’inscrit aussi celle de la formation et du devenir des représentations. En continuant à articuler Freud à Aulagnier nous verrons ici comment la métaphore est liée à l’émergence de la représentation et à l’articulation du va et vient Cs/Ics du travail de symbolisation.
Par la théorie du refoulement Freud installe les règles de l’interaction et du devenir des représentations et de leurs investissements. Le chassé croisé interactif qui lie ou délie les représentations, aux affects et aux perceptions acoustiques dite de mot, scelle le destin de ces représentations et l’impact de leur existence consciente ou inconsciente. La charge affective qui préside a l’inscription initial de la représentation, peut se détacher en tout ou partie permettant l’émergence à la conscience des traces mnésiques sous la forme d’une représentation de mot. La perte du lien émotionnel initial s’accompagne d’un perte de sens en terme de possibilité de remaniement psychique ce qui amène en corollaire que toute résistance face à cette potentialité de remaniement, si elle ne peut mener à la déliaison de l’affect perturbateur, pousse la représentation non investie par le mot vers les profondeurs de l’inconscient. C’est de cette manière que Freud conçoit alors la séparation des systèmes Cs/Pcs et Ics par le phénomène de censure qui mène à une transformation des représentations lors du passage de l’un à l’autre. Les processus primaires sont alors associés aux processus de liaison qui président seuls à l’économie des représentations dans l’inconscient. Les processus secondaires sont ceux de la pensée consciente, domaine dans lequel la représentation peut accéder au langage. C’est de ce passage de la représentation de chose à la représentation de mot, des processus primaires aux processus secondaires, de l’inconscient à la conscience, et vise versa que naît la complexité de l’imbrication entre travail psychique et travail de pensée. Selon C Athanassiou qui analyse cette question, la richesse de cette théorie freudienne n’écarte pas le fait que « Freud ne met pas l’accent sur le travail psychique qui permet de passer de l’investissement de la trace mnésique dans sa concrétude à celui de la représentation en tant que transformation de cette même trace »[9]. Pourtant, dans cette construction théorique, les jalons sont désormais posés quant au lien qui unit le passage de l’inconscient à la conscience et le processus de symbolisation et de la création de sens. Processus qui mène directement au processus d’acquisition du langage. Mise en parallèle avec l’avènement de la représentation du temps tel que Freud l’a décrit par ailleurs, les transactions qui président à la circulation des représentations s’épaississent d’une articulation pensable entre émergence de la temporalité et émergence du sens dans le langage. Le temps du sujet est bel et bien originellement pris dans les maille du récit d’un Je en construction.
Le stade préobjectal peut être considéré comme le lieu étape de l’émergence des représentations dans la vie psychique. L’approche de Piéra Aulagnier au travers du concept de Pictogramme est en ce sens une approche intéressante pour tenter de lier l’émergence et la construction des représentations avec la construction de l’identité. Pour P.Aulagnier le «Je » présente un fonctionnement propre à la relation qu’il entretient avec le monde extérieur. Cette relation s’établit selon différents modes d’intégration cohérente de l’information. L’activité de représentation la plus primitive correspond au «Pictogramme ». Cette première forme de représentation que la psyché est capable de former se caractérise par une non différenciation entre intérieur et extérieur, entre zones érogènes du corps et objets de satisfaction propre à exciter et combler ce corps érogène. Piera Aulagnier décrit un «représentant pictographique et métonymique des activités de l’ensemble des zones, représentant qui s’autocrée par avalement de la totalité des attributs d’un objet - le sein – qui sera à son tour représenté comme source globale et unique des plaisirs sensoriels ».[10] Il s’agit là d’un engendrement réciproque du moi et de l’objet, cette dynamique du développement du lien à l’objet s’éclaire alors dans son rapport à la constitution des représentations psychiques. Dans cette interrelation constituante, le travail de représentation s’ébauche par l’advenir d’un désir autre, diriger vers un « ailleurs » qui met en cause et en mouvement, la relation objectale initiale. Cette mise en mouvement implique selon nous une dialectique du moi et de l’objet ou cette séparation est elle-même représentation d’une séparation donc susceptible elle aussi d’être remise en cause dans la dynamique d’élaboration du travail de représentation, et plus tard, dans la dynamique du travail de pensée.
Le terme de « métonymique » prend alors tous son sens comme tentatives de glissement et de transformation articulée nécessairement autour des différentes formes de la séparation où prend naissance la relation objectale. Les formes duelles en question sont par exemple les couples présences/absence, plaisir/déplaisir ou dedans/dehors. Les frontières ainsi définies sont celles auxquelles viennent s’argumenter des perceptions sensorielles qui sont une perception de la limite avant d’être une perception de la zone délimitée. Le cumul de ces perceptions et représentations de frontières nourrit une globalité qui est bien autre chose que la somme de ses parties. Cette globalité alimente à son tour le sentiment et les formes de l’identité. Il se peut que le moment fondateur de l’identité soit l’articulation rendu enfin possible dans un mouvement représentatif dynamique de sentiment de globalité qui lie l’objet au moi dans le même temps qu’il s’en sépare par la perception simultanées d’une globalité du moi distincte de celle de l’objet. Le glissement «métonymique » est alors celui qui dans l’acte de penser, maintient les rapports de contiguïté là où la rupture ou l’effacement des frontières dualistes pousse l’urgence d’un rétablissement par perte angoissante du sentiment d’identité. Claire Athanassiou écrit : « Je pose par hypothèse que c’est la capacité de maintenir un lien entre deux perspectives sur un même objet, qui est au fondement de toute capacité de représentation psychique ». La «représentation » est une double « présentation », la seconde étant tenue pour à la fois semblable et différente de la première ».[11] A la perte de l’objet, dans sa transition vers une introjection en objet interne, doit se substituer une équivalence transitoire, hallucination momentanée garante d’une continuité qui passe outre l’exposition insupportable du passage à vide de l’absence. Ce n’est que lorsque le lien entre objet interne et objet externe est dynamiquement crée que le manque constructif de l’être et constitutif du désir articule la stabilité du Je sur l’équilibre du jeu de la présence/absence. Cette satisfaction halucinatoire, opérateur de continuité et de passage d’une présence à a une autre, allonge son pas dans les traces du processus de formation des représentations psychiques. Cette illusion tire sa force et son pouvoir de mise en continuité dynamique, dans le fait qu’elle n’est pas perçue en tant qu’illusion mais en tant que son identité à l’objet réel perçu ; identité dont on peut perdre de vue l’opération de substitution qui en marque la différence. Ces artifices sont ceux des mécanismes défensifs tel que le refoulement et son allié l’inconscient dans son articulation continuelle au système conscient/ préconscient. « C’est ainsi qu’un pont peut se construire entre les deux bords de la discontinuité reconnue. Toute l’histoire étymologique du mot symbole va dans un sens où le désir d’un retour au passé_ où la continuité du moi et de l’objet était tenue pour une réalité_ s’accompagne de la perception d’une faille ou d’un « jamais plus » :les deux moitiés du symbolon conserveront toujours la trace de leur brisure ».[12] Mise en liens, rétablissement d’une forme hallucinée de continuité, consécutive à la prise en compte d’une différence, donc d’une rupture potentielle de la continuité de l’être et de son rapport au monde. Tentative permanente de mise en sens de se qui s’échappe ou s’absente dans une volonté qui n’est pas celle du Je. « Nous retrouvons toujours, à la source de tout travail de symbolisation, la capacité de supporter l’existence d’une charnière entre deux états conjointement vécus ; celle de la présence en soi d’un élément reconnu et accepté comme « non moi », celle de la conscience de la présence et de l’absence de l’objet. Présence qui renvoie à une absence, état qui renvoie à un autre état, pont et donc lien entre la trace mnésique et la réalité de l’objet. La représentation ne peut être que lien ».[13]
Différence, continuité, mise en lien, mise en sens, extérieur, intérieur, soi, non soi, identité, séparation, histoire, tout nous ramène à la gestion psychique d’une délimitation « vivante » qui définit dans la parole, la pensée, et l’argumentation des symboles et représentations, les multiples contours de notre existence et du discours que nous partageons avec les autres sur celle ci. Eléments de catégorisation du réel vécu qui prennent leur source dynamique à l’origine des formes embryonnaires de la pensée. L’une de ces catégories, incontournable pour penser le lien et la continuité, est celle du temps qui vient imprégner cet infini réseau d’équilibres duels. Car pour qu’il se constitue dans une intégration permanente et cohérente de sa différence à l’autre, le Je doit gérer «l’irruption dans la psyché de la catégorie de la temporalité et par là le concept de différence dans ce qu‘il y a de plus difficile à assumer : la différence de soi à soi ».[14] (P.Aulagnier cité par De Mijolla). Or cette continuité identificatrice du Je en même temps que sa continuité temporelle, est constamment battue en brèche par des ruptures, des séparations, des absences meurtrières et synonymes de dépressivité. La mise en lien, la formation de ponts dont nous avons parler précédemment concerne donc aussi les remaniements potentiels de la temporalité subjective. En effet, les formes de la représentation du temps sont aussi celles qui s’articulent avec la formation des représentations à l’origine du langage. Langage qui vient à son tour parler cette représentation du temps. La remise en cause du vécu représentatif et de ses conséquences historiques par une redynamisation novatrice de la pensée du Je sur lui-même dans la cure, ne vient bousculer le rapport du sujet au récit de sa temporalité que parce qu’il vient interroger le processus même de sa formation lors des premières acquisitions symboliques. Il s’agit donc d’une réinterrogation actuelle d’un propriété dynamique fondatrice de la pensée et de la catégorie humaine du temps. Ou encore si l’on veut échapper à une représentation trop linéaire, il s’agit d’une mise en mouvement dynamique d’un forme omniprésente, propriété fondamentale de la pensée et du temps. Le temps est intriqué dans le processus de formation de la pensée car il né de l’intégration de la bipolarité conscient inconscient dans l’avènement du pouvoir symbolique. Voilà aussi pourquoi le temps parle le Je qui est récit du Je sur lui même et que réciproquement la rédéfintion des rapports du Je à sa propre pensée provoque aussi un remaniement complexe du rapport du Je à sa temporalité, son histoire subjective ombre portée de son histoire libidinale.
Si nous reprenons ici les définitions de la métaphore telle que nous les avons développées dans notre partenariat, entre autres avec Ricoeur et Freud, il nous semble alors que le raccord peut se faire en ce que cette dynamique du travail de la métaphore trouve sa complémentarité dans la dynamique psychique qui est à l’origine du développement de la pensée. Rien de surprenant finalement à ce que cette création de ponts psychiques soit le point commun omniprésent de l’origine infantile du langage jusqu’au discours théoriques les plus aboutis. Ainsi pour L.Moix : « Les processus de pensée de l’être humain sont foncièrement métaphoriques. La capacité de métaphore est le véritable secret du développement de la pensée. Les métaphores sont la bases même de l’expérience de chaque individu. Propre à sa pensée tout en étant enraciné dans la culture… »[15]. La métaphore, figure de rhétorique au processus infinis, démasque pour nous l’étendue de son importance. Point commun à tous les discours portés par l’humain, nous pensons en terme de représentations et de symboles. Il nous semble démasquer ici un peu plus, la présence/absence continuelle d’un tel processus. « Avec la métaphore nous nous trouverions en présence d’un « archaïsme », d’une pensée vivante qui n’aurait jamais « consenti » à être refoulée »[16]. Se refusant à un impossible refoulement la métaphore et son travail transparaissent à tous les moments charnières de la constitution et de l’expression du Je. Par le terme de discours, nous parlons bien ici, de cette pensée que le Je opère sur lui-même dans son rapport aux autres par le biais entrecroisé de théories profanes ou de théories disciplinaires, mais aussi des fictions inconscientes qui font le lit des fantasmes, théories sexuelles infantiles ou roman familial. Car, qu’il soit identité de savoir disciplinaire ou identité psychique où s’inscrit l’histoire de la différenciation du moi et de l’objet, le Je reste le premier destinataire de ces identités croisée qui le définissent en même temps qu’il en défend le « récit ». La production originelle des représentations et de leur utilisation symbolique dans le langage, signe alors sa présence dans toutes les formes de ce discours identificatoire du Je sur lui-même, fusse t-il le plus scientifiquement supposé objectif. Parce qu’elle est, ce processus originel, la métaphore vient donc jouer son rôle dans un travail de remédiation entre les différents partis dont la disparition fantasmée, réelle, vraie et imaginaire est mise en jeu dans le questionnement d’une limite, d’une frontière, d’une séparation et du potentiel équilibre identificatoire qu’il entraîne.
Ainsi, à quelque niveau de complexité où l’on se place, du pictogramme à la théorie, de la représentation au roman ou à l’histoire, la métaphore contient en elle-même l’articulation possible sur un mode continue de ce qui fait l’essence d’une nécessaire réassurance, reconstruction permanente d’un Je constitué et mis à mal dans son rapport à la discontinuité. La métaphore met alors en apposition puis en lien instantané/momentané ce qui fait le cœur même de l’opposition dans les couple incarnant la dualité. Incarnation unique de ce double mouvement psychique qui lie et délie en une étrange métamorphose le même et le différent. L’esprit est alors guidé vers une nouvelle représentation, présentation simultanée de deux états différent du vécu, vers le nouvel équilibre d’un couple toujours ensemble toujours séparé, bon/mauvais, intérieur/extérieur, soi/non soi. La métaphore est l’espace du doute qui subrepticement efface dans un moment trouble du langage la radicale hétérogénéité initiale de ces couples, une porte s’ouvre qui mène l’inconnu à la conscience, le nouveau à la naissance puis à la reconnaissance. Aux limites du saisissable et du connaissable, aux bornes de l’identité, la métaphore est l’outil qui transmet et rend possible la perception simultanée et cohérente d’un ancien et d’un nouveau discours sur l’ailleurs, sur le monde, sur l’autre et donc au final sur le Je lui-même.
Rien d’étonnant alors de retrouver ce procédé de la métaphore à l’œuvre autant comme principe dynamique de la métapsychologie en même temps que comme principe essentiel de l’art interprétatif du psychanalyste. « La capacité de métaphoriser de l’appareil psychique de l’être humain nous semble être le véritable secret du développement de la pensée. Elle est présente tant dans la psychanalyse que dans la psychothérapie. Je pense,…,que la métaphore loin d’être seulement un élément de l’imagination poétique, est omniprésente dans le quotidien et non seulement dans le langage, mais aussi dans la pensée et dans l’acte. Notre système conceptuel en terme de pensée et d’acte est fondamentalement métaphorique ; il structure aussi notre perception ».[17] Carrefour oublié mais obligé de toute rencontre de langage, la métaphore est de la même manière selon Cléopâtre Athanassiou le modèle toujours vivant de la mise en œuvre du processus de la création des représentations. « L’emploi de la métaphore qui ouvre l’espace renouvelé d’une interprétation faisant pont entre deux représentations, intéresse donc tout particulièrement le psychanalyste, dont la tâche est de constituer des représentations. L’élaboration de la pensée se donne ainsi elle-même une forme métaphorique qui conserve vivant le processus formateur de toute représentation et donc de toute pensée »[18]. A l’origine de la pensée et présente à tous les carrefours de son expression ou de sa transformation, la métaphore n’est pas loin pour nous la propriété princeps de l’interprétation qui devient pour nous le paradigme même du travail thérapeutique dans l’espace de cure. Les jeux possibles du mot dans le travail de la métaphore est alors la condition nécessaire pour bâtir plus qu’une théorie, le cadre discursif d’une sensation, d’une empathie, d’une écoute. Comme paradigme fondateur, la métaphore tiendrait son pouvoir aussi en ce qu’elle échappe, donc part fondatrice alors, d’une base universelle de la nature humaine. Inévitablement retrouvée désormais dans cet espace de l’interprétation où il ne pourrait s’y produire autrement un tel bouleversement du Je humain. C’est peut être en ce sens que Pierre Fedida écrit: « Je rejoint ici cette part maudite _ soustraite à la production par le travail _ qui vient dans la parole comme une métaphore et dans laquelle le patient trouve enfin ce qui le reconnaît. Le travail de l’interprétation est alors, peut être, œuvre poétique d’une métaphore dont l’analyste ne sait pas lui-même d’où elle lui vient »[19].
En recentrant notre questionnement sur l’espace de cure et la rencontre patient thérapeute, nous aboutissons donc tout naturellement à ce miracle du soin qui vient questionner les fondements les plus intimes de « l’histoire » du sujet. Il semble possible dans le cadre de la cure, de braver les interdits du temps tels qu’ils se manifestent dans cette limite du symptôme à laquelle se heurte le patient encore et encore, sans jamais la franchir. La rencontre s’étoffe d’une dimension étrange, celle de pouvoir, dans l’espace thérapeutique de la rencontre patient/ thérapeute, soutenir celui qui cherche, dans le moment régressif, à infléchir la trajectoire temporelle de son histoire. Entre la dynamique du lien transférentiel/contre-transférentiel, le dynamisme de la sorcière Métapsychologie et le jeu des mots et des représentations il existe cette interface qui s’enracine dans l’articulation même du discours, de la pensée et de l’origine du Je. En effet, nous avons vu que c’est avant tout dans l’œil singulier de la « sorcière » Métapsychologie, que l’on peut observer un sujet oscillant sans cesse entre un temps « objectif » universel et causal, et une atemporalité de l’inconscient, oscillation dynamique qui caractérise le temps freudien. On peut alors défendre l’hypothèse qu’il existe, entre les deux pôles conscient et inconscient du temps, un espace la perception subjectif du Je et son histoire peut être remaniée. Un tel remaniement ne se produit que dans la rencontre d’au moins deux temporalités subjectives et nécessite la mise en place d’une dynamique de transfert contre transfert. Cette relation particulière qui unit le patient et le thérapeute dans l’espace de séance nous intéresse comme lieu où les différences et les ressemblances se rencontrent et s’estompent pour se reconstruire dans l’instant ou dans l’après-coup, pour générer de la nouveauté dans la construction psychique intime du temps. Ce sont, plus particulièrement les jeux de contact entre représentations, récits, théories, et interprétations qui donnent la mesure de telles transformations. En effet, il semble que se sont les mots que patient et thérapeute délivrent, dans l’instant où dans l’après-coup de la rencontre, qui permettent de coordonner le cheminement et l’accompagnement dans le moment de la rencontre. Ils assurent un point d’ancrage dans la stabilité d’une réalité temporelle commune et évitent de se «dissoudre » dans ce lieu de folie et d’angoisses inconscientes, de ce temps relatif où peut entraîner la parole du symptôme. Cette dynamique du discours en même temps qu’elle met en mouvement les imaginaires du patient et du thérapeute, leurs «déjà su » théoriques et la rencontre avec l’étrangeté de l’autre, met aussi en mouvement la dynamique temporelle de chacun. La metaphore est alors le lieu des remaniements temporels. Elle est l’interface privilégiée et espace de mots ou se rencontrent les temps individuels et collectifs. La métaphore est le lieu d’une rencontre, où cette propriété commune aux deux discours permet qu’ils se parlent et s’écoutent. Ceci, jusqu’à ce que dans une cocréation de sens, ils ne fassent transitoirement plus qu’un, transformant ainsi la radicalité maladive d’un temps individuel refermé sur lui même, en le réinstituant dans sa propriété originelle et omniprésente d’être un temps singulier/pluriel. Alors la dynamique d’un temps du possible opère. De nouvelles déliaisons sont possibles qui viennent déséquilibrer le statu quo catégoriel, celui des dualités installées, d’un temps figé aux différences et ressemblances reconnues et sans surprises. Présents/passé/futur en un instant se confondent dans une articulation assouplie du conscient et de l’inconscient, dépassant le rapport prisonnier à un temps linéaire déterministe pour enfin remodeler le temps individuel subjectif dans un autre discours de soi, une “autre” histoire linéaire si nécessaire. Ainsi, si la mise en lien des mots, tisse le discours qui prends dans ses mailles les différents fils du temps alors l’espace de la métaphore est ce lieu étonnant où les mailles peuvent se défaire et se refaire formant ainsi une trame nouvelle dans le tissu d’une histoire subjective.


[1] De Mijolla S _ « Le temps zigzague et se chevauche » in Topique, n° 74, pp 7-16, (2001).
[2] Aulagnier P _ L’apprenti-historien et le maître-sorcier (1984). Puf, Fil rouge, (2000), p196
[3] Le Poulichet S _ L’œuvre du temps en Psychanalyse. Rivages Psychanalyse, (1994), p 99.
[4] Aulagnier P _ « Le travail de l’interprétation » in Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Journées Confrontations 1er et 2 mai 1976. Confrontation, Paris, Aubier Montaigne (1977), p35.
[5] Aulagnier P _ « Le travail de l’interprétation » in Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Journées Confrontations 1er et 2 mai 1976. Confrontation, Paris, Aubier Montaigne (1977), p34.
[6] Aulagnier P _ Op.Cit, p36.
[7] Masud Khan _ Le soi caché (1974). Nrf Ed. Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, (1976), p 174.
[8] Aulagnier P _ Op.Cit, p37.
[9] Athanassiou C _ «Représentation et métaphore » in Métaphore et représentation. Ed Bayard, pp13-33, (1994).
[10] Aulagnier P _ la violence de l’interprétation, du pictogramme à l’énoncé (1975). Puf, Fil rouge, (1999), p 61-62
[11] Athanassiou C _ Représentation et métaphore (p24) in Métaphore et représentation, Bayard Ed, (1994), p 14-32.
[12] Atanassiou C _ Idem, p26.
[13] Atanassiou C _ Idem, p29.
[14] Aulagnier P cité par De Mijolla S _ « Le temps zigzague et se chevauche » in Topique, n° 74, pp 7-16, (2001).
[15] Moix L-M _ Psychanalyse et psychothérapie aux sources de la métaphore. L’évolution psychiatrique, (1996), 61, 4, p 841-858.
[16] Athanassiou C _ Représentation et métaphore (p 30) in Métaphore et représentation, Bayard Ed, (1994), p 14-32.
[17] Moix L-M _ Psychanalyse et psychothérapie aux sources de la métaphore. L’évolution psychiatrique, (1996), 61, 4, p 841-858.
[18] Athanassiou C _ Représentation et métaphore in Métaphore et représentation, Bayard Ed, (1994), p 14-32.
[19] Fedida P _ « Une part maudite » in Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Journées Confrontations 1er et 2 mai 1976. Confrontation, Paris, AubierMontaigne (1977), pp 76-81.